Le réalisateur Jean-Luc Raynaud et son équipe sillonnent la région Nord-Pas de Calais et en particulier le bassin minier pour raconter l’histoire extraordinaire de ces mineurs de fond qui ont subi une quantité de préjudices lors de leur grève de 1948. Le film s’appellera « L’honneur des gueules noires ».
– Que s’est-il passé pour ces mineurs en 1948 ?
Jean-Luc Raynaud : « C’était une grève nationale, massive d’octobre et de novembre 48 où l’Etat français a fait une répression comme si la région était transformée en état de guerre. Et pour l’exemple, ils ont arrêté des mineurs qui ne faisait que grève, alors que le droit de grève était dans la constitution depuis 1946. Arrêtés, ils ont été jugés de façon expéditive, presque sans avocat, mis en prison. Mais pas seulement, ensuite ils ont été licenciés des charbonnages de France et comme ils étaient logés dans les maisons qui appartenaient aux charbonnages de France, ils ont été expulsés en plein hiver avec l’interdiction de travailler sur la région. Ils étaient sur une liste noire ».
– Et le Méricourtois Daniel Amigo dans tout cela !
« Daniel Amigo faisait partie de ces gens là. D’autant qu’en plus, son père avait connu un destin identique lors d’une précédente grève en 1941 pour empêcher les Allemands de prendre le charbon français. Lui aussi était aller en prison. Le père et le fils, en 7 ans d’écart, sont tous les deux allés en prison, le premier en Belgique, c’était la guerre et le second à Béthune ».
– Ces mineurs ont-ils mené une action en justice ?
« Oui, grâce à l’un d’entre eux. Georges Carbonnier qui, arrivé à la retraite, a voulu obtenir réparation de tout ce préjudice qu’ils ont subi. Il a réuni dix-sept d’entre-eux dont Daniel Amigo, pour lancer une démarche judiciaire afin d’obtenir réparation et surtout amnistie de leur condamnation. Parce qu’en fait, quand on va en prison, c’est une tâche infâme, c’est pour ça que je parle d’honneur parce qu’il y a une honte profonde, d’autant qu’ils l’ont, comme Daniel, caché à leur famille. Ils ne pouvaient pas en parler ».
– Y a t-il eu une décision de justice ?
« Oui, elle a eu lieu il y a un an. La cour d’appel de Versailles a donné raison à ces dix-sept mineurs, à leurs familles et leurs ayants droits en disant qu’ils avaient été discriminés de façon totalement injuste par le pouvoir en place ».
– Ces dix-sept mineurs vont témoigner dans votre film ?
« On ne les rencontre pas tous, mais beaucoup d’entre eux. Le film sera un film choral avec beaucoup de personnages qui témoignent de ce qu’ils ont vécu et comment ils ont pu vivre pendant 60 ans. Parce que ce qui est extraordinaire c’est que ce combat a duré 63 ans, même 64 ans et c’est pas fini car l’Etat s’est permis de se pourvoir en cassation. Si bien que la réparation est symbolique mais elle n’est pas encore effective. C’est ça qu’est terrible. Et ce qui m’intéresse, c’est l’odyssée de ces hommes là, comment ils ont pu tenir aussi longtemps dans le fait qu’ils ont vécu avec cette honte en eux sans, pour la plupart, jamais en parler à leurs enfants. En fait, il y a une vraie généalogie de l’injustice dans le film. J’interroge les pères, les fils, les petits-fils, aussi les filles bien sûr et les veuves de ceux qui ne sont plus là ».
– Quand sera diffusé votre film ?
« Ce documentaire sera terminé à la fin de l’été. Pour la date de diffusion, je ne sais pas mais ce sera sur France 3. Je compte en faire une version grand format qui sera, j’espère, destinée aux salles de cinéma. En tout cas, le film va faire parler de lui. Il va faire plein de festivals et dans la région, ce sera un hommage à ce peuple de mineurs déshonorés à qui, il faut rendre justement leur honneur. C’est pour ça que le mot honneur est très important ».
À 85 ans, le Méricourtois Daniel Amigo a toujours la tête encombrée de souvenirs de cette année 1948 qui a fait basculer sa vie et dont les images le hantent encore 64 ans après.
« Je travaillais au fond à la fosse 6-bis d’Hénin-Liétard. J’ai fait grève avec mes camarades parce qu’on commençait à nous enlever toute une série d’avantages. On ne s’est pas laissés faire. Ça a a duré deux mois. Et je suis persuadé qu’à deux jours près on aurait pu éviter toute cette histoire parce qu’ils étaient prêts à signer… Seulement, ils avaient sorti la grosse armada en envoyant la troupe et les flics dans les cités. C’était incroyable ». Au terme de cette grève, tout a basculé pour Daniel. « En rentrant à la maison, on m’a dit qu’il fallait que je me rende à la gendarmerie. Je me suis demandé pourquoi. Le lendemain, je suis allé à la gendarmerie de Billy-Montigny et là, m’ont coffré pour entrave à la liberté du travail ». Le lendemain, Daniel Amigo est conduit à la prison de Béthune et très vite amené au tribunal où il s’est retrouvé condamné à deux mois de prison. « C’était tellement expéditif que mon avocat n’a même pas eu le temps de parler ». Ne se laissant pas faire, il fait appel. « Je suis allé à Douai et là, ils m’ont rajouté un mois de plus. Avec 6000 F d’amende, et je peux vous dire qu’à l’époque c’était terrible ». Les trois mois purgés, Daniel se retrouvait sans travail et à la rue puisqu’il avait du rendre sa maison des mines. Une indignité et une injustice jamais réparées jusqu’à ce que naisse une procédure collective il y a une dizaine d’années.« on était allés aux prud’hommes et on avait toujours été déboutés. Et puis, en juin dernier, on a fini par avoir gain de cause en Appel ».